Le cinéma indépendant chinois pris entre censure et marché

Le cinéma indépendant à travers le regard de Zhang Xianmin



Peinant déjà à s’exprimer en raison de la censure d’Etat, voilà que le cinéma indépendant chinois se trouve en plus à la merci du marché, qui favorise logiquement les blockbusters aux dépens du cinéma d’auteur. C’est ce qu’a révélé Zhang Xianmin, observateur et acteur du cinéma indépendant chinois depuis deux décennies.
Parfaitement francophone, et premier Chinois diplômé de la Femis, la prestigieuse école de cinéma parisienne, Zhang Xianmin enseigne aujourd’hui à l’Académie du cinéma de Pékin, mais surtout, il est la mémoire du cinéma indépendant chinois qu’il accompagne depuis son apparition. Voici quelques extraits d’une interview qu’il a bien voulu accorder à la Presse.


- Qu’est-ce qui menace le plus le cinéma indépendant chinois, la censure d’Etat, ou le marché ?
Zhang Xianmin : Les deux ! Mais dans ce cinéma indépendant, il existe une partie qui est bien plus socialisée au sens politique, il s’agit d’un cinéma plus militant qui croise en partie ce cinéma d’auteur. Il existe aussi un cinéma militant qui n’est pas un cinéma d’auteur, comme partout.
La censure et l’économie de marché sont les deux menaces principales. Mais ce cinéma d’auteur, ou indépendant, est en train de se diversifier très rapidement.
Aux débuts de ce qu’on appelait alors la « sixième génération » du cinéma chinois, ces cinéastes en dehors du système, il y avait une même démarche, un même regard sur la société ?
Dans les années 90, nous avons connu la première vague de révolte contre la censure. Cette révolte, au sens de la conscience humaine, a commencé lorsque certains cinéastes ont commencé à refuser de déposer leurs films à la censure (et donc à s’exclure de la distribution officielle en Chine, ndlr). C’était une première avec des réalisateurs comme Wang Xiaoshuai ou Zhang Yuan.
L’esthétique de cette sixième génération est difficile à qualifier, car tous travaillaient dans le contexte d’un effondrement et partaient dans tous les sens. Il y avait une révolte partagée, une jeunesse déçue.
Mais la différence entre Wang Xiaoshuai et Lou Ye aujourd’hui se voyait déjà à ce moment-là. Esthétiquement, ils n’appartenaient pas à la même école, contrairement à la génération précédente (celle de Zhang Yimou, Chen Kaige, ndlr…) qui partageait les mêmes codes esthétiques.
Les cinéastes de la sixième génération sont les successeurs de ceux de la cinquième génération au sens où ils font face au même système administratif, et partagent le même effondrement de l’économie planifiée.
Mais les cinéastes de la cinquième génération sont les derniers à avoir profité de l’économie planifiée, alors que ceux de la sixième sont ceux qui l’ont ratée, ils sont les premiers à tâtonner dans l’économie de marché. Mais le système administratif est resté le même.
Dès le début, ils ont eu du mal à s’adapter à l’économie de marché. Ils étaient les enfants de l’économie à la soviétique. Il n’y aura donc plus de classement par génération, on est maintenant dans la diversité. Génération est un terme très centralisé, il a disparu.



C’est donc le genre plutôt que l’âge qui détermine aujourd’hui la place des cinéastes chinois ?
Il y a la classification par genre de film, mais aussi, encore, par l’âge qui est important. Pas seulement parce que l’âge serait lié à l’ego ou à des analyses psychologiques. C’est aussi lié à des codes culturels. Par exemple, l’apparition d’internet n’est pas vécue de la même manière quand on a 15-20 ans ou 40 ans. C’est ce qui forme les groupes communautaires.
Il faut dire que les choses évoluent très vite en Chine, et que des jeunes nés à cinq ans d’intervalle seront très différents. Ils ne partagent pas les mêmes codes culturels.



 En 2003, les règles de la censure ont changé et ont permis à certains cinéastes underground de revenir dans le système (Jia Zhangke, Wang Xiaoshuai par exemple), alors que d’autres (Wang Bing, Li Yang par exemple) ont refusé. Y a-t-il aujourd’hui une vraie frontière entre ces groupes ?
Oui, une partie de ce cinéma, surtout celui du documentaire indépendant, est resté en dehors de toute structuration administrative. En 2003, il s’est produit ce que j’appellerai un « geste administratif“ plutôt qu’une ‘réforme politique. Parce que c’est purement administratif. Même aujourd’hui, la censure est plus administrative qu’idéologique.
Comment parler d’idéologie soi-disant communiste aujourd’hui ? Cette censure fait semblant d’être une censure. C’est un procédé administratif sans fondement idéologique solide. Derrière il n’y a pas de pensée…
C’est le profit qui la guide aujourd’hui. Quand on censure le dernier James Bond, c’est pour empêcher que l’argent passe dans la poche des autres. Il faut créer des barrières artificielles qui cherchent à empêcher certains d’aller plus vite. Et ça laisse la place au piratage qui prélève une somme d’argent gigantesque. C’est comme ça que l’administration fait son propre argent de poche !
L’habillage se veut néanmoins politique…
Oui, la censure se fait au nom du bien du peuple : nous jugeons pour vous ce qui pourrait être nuisible pour vous.
Il existe un cinéma clairement militant apparu entre 2005 et 2008, qui ne peut passer par la censure.
Prenons le film Une Jeunesse chinoise’ (Summer Palace) de Lou Ye (prix du meilleur scénario à Cannes en 2009, interdit en Chine, ndlr), ce n’est pas un film militant. C’est un film sur l’amour. Par hasard, il y a une quasi-révolution (Tiananmen, 1989, ndlr) dans cet amour. Mais ce n’est pas un film politique, ni à vocation sociale. La révolution était un ‘hasard’.
Pas de hasard pour le mouvement du documentaire chinois, proche du mouvement civique, qui a démarré dès le début des années 2000 pour s’élargir après 2005, à l’approche des JO de Pékin. Et qui a été suivi, après 2010, par l’apparition de fictions à vocation sociale, avec une intention annoncée, s’inscrivant dans le mouvement de la construction d’une société civile. Il y a bien sûr Wang Bing, mais il n’est pas le seul.
Ce cinéma-là reste impossible à montrer ?
Il existe l’internet, le piratage, qui sont des alternatives. Et d’ailleurs, depuis 2008, le problème est moins celui de la censure administrative du cinéma que celui de la censure sur internet : qu’est-ce qui peut être montré ou rejeté sur la toile chinoise ? Et quand c’est rejeté, c’est radical, il n’y a pas de traces.
Quand un film est refusé par la censure, on peut toujours espérer en trouver une édition pirate ou des bouts sur internet. Mais quand une vidéo est bannie sur internet, on ne la voit plus, il n’y a plus de trace sur l’internet chinois.
 Ce cinéma-là donne toutefois l’impression sur la durée d’avoir une incroyable vitalité, créativité, et que la porte ouverte ne peut pas se refermer.
Je ne suis pas totalement satisfait, mais je suis néanmoins très content de ce cinéma indépendant ou d’auteur d’aujourd’hui. Il n’y en a jamais eu de mieux. On est, depuis une dizaine d’années, à un moment où il y a le plus de créativité visuelle, sonore, de narration…
Malgré ses difficultés, le cinéma indépendant chinois est pratiquement à son meilleur moment. Mais ma prévision est un peu pessimiste, ça finira dans quelques années.


Source:
-"A touch of Sin" : Jia Zhang-Ke encore censuré en Chine

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